Anna Hope, l’auteure de The Ballroom, était de passage à Grenoble à l’occasion du
Printemps du Livre le 24 mars 2018. Deux étudiantes de 2ème année à Phelma, Marlène
Jeannin et Elise Garel, ont eu le privilège de l’interroger au cours d’une rencontre organisée
par la Bibliothèque Municipale de Grenoble.
Être assises de part et d’autre de Anna Hope, sur une estrade, micro en main, et face à
une salle remplie, était, il faut l’avouer, un peu terrifiant. Pas exactement le genre
d’expérience à laquelle les cours de physique nous préparent. Mais il se trouve qu’en
plus d’être une auteure de talent, Anna Hope possède un enthousiasme communicatif,
un sens de l’humour et une envie de partager qui rendent son interview (presque) facile
à mener.
Auparavant actrice, Anna Hope est une auteure britannique née dans le Lancashire. Son
premier roman, Le Chagrin des Vivants, a été publié en 2014. Elle a été influencée par
Virgnia Wolf — seule auteure féminine qu’elle a étudiée lors de ses études en littérature
à Oxford —, Rebecca Solnit — une auteure américaine féministe à l’origine de Men
Explain Things to Me — et JM Synge, véritable source d’inspiration pour son dernier
roman, The Ballroom, publié en 2016.
Ce roman à trois voix se déroule en 1911 dans un asile psychiatrique du Yorkshire. Il est
inspiré d’une histoire familiale, découverte par hasard par l’auteure, celle de son arrièrearrière-
grand-père irlandais, qui y fut enfermé car la recherche infructueuse de travail
l’avait rendu dépressif. Il ne s’en est jamais remis. Dans cet asile, les femmes et les
hommes étaient séparés sauf le vendredi soir, où les « plus sages » avaient le droit de se
rencontrer dans une magnifique salle de bal. C’est cette fameuse salle de bal qui a
convaincu l’auteure : elle écrirait une histoire d’amour se déroulant dans cet asile.
Au cours de cet entretien, Anna Hope nous parle, avec émotion, de ses recherches, de
l’histoire de son ancêtre et de tous les patients passés par cette asile, consignée dans des
registres, qui sont autant de romans ; du choc qu’elle a parfois eu en lisant la raison de
leur internement ; de cette plongée à l’époque de la naissance de l’eugénisme en Grande-
Bretagne, théorie inventée par le cousin de Charles Darwin et qui a même été une
question politique, portée par des hommes comme Churchill, vice-président du comité
eugéniste. Elle a ainsi creusé davantage dans cette direction, découvrant au passage que
si le nazisme avait fait oublier tout ce qui précédait, certaines idées eugénistes avaient
été appliquées avant 1939, ailleurs dans le monde. Peu à peu, elle en est ainsi arrivée à la
question clé de son roman: qui décide et comment décider qu’une personne est « simple
d’esprit », folle, en dehors de la normalité ?
L’auteure aborde ainsi dans son livre, au travers du personnage de Clem, la question des
femmes internées pour hystérie (dont elles sont les seules à pouvoir souffrir puisque
hystérie vient de « utérus » en grec), ou pour une dépression après une fausse-couche,
ce que notre société considère aujourd’hui comme normal. Puis elle traite de la question
de la pauvreté, qui d’après l’eugénisme, prédisposerait les individus qui en souffrent,
comme d’une maladie, à la faiblesse d’esprit. Ainsi, le personnage du docteur Fuller,
eugéniste en devenir, souffre de la même mélancolie que Churchill — ils ne trouvent
tous les deux la paix que dans l’art — pour autant, n’étant pas pauvres, aucun n’est
considéré comme fou, à l’inverse du personnage de John, dépressif depuis la mort de son
enfant. Enfin le personnage d’Ella est à Anna Hope ce que Jean Valjean est à Victor Hugo :
la pauvreté et la misère les ont poussés respectivement à casser une vitre pour voir le
ciel et à voler un pain, ils seront enfermés, sans autre forme de procès.
Dans cette opposition entre les patients d’une part et l’eugénisme d’autre part, Anna
Hope réussit le défi de créer des personnages non stéréotypés. Charles Fuller ne peutêtre
détestable car sa médiocrité inspire de temps à autre la sympathie. Ella est celle qui
se bat pour sortir de cet asile coûte que coûte tandis John, lui, demeure assis dans
l’ombre des heures durant. En inversant des caractères considérés habituellement
comme masculins — la détermination de Ella — ou féminins — la passivité de John—
chez ses personnages, Anna Hope sort des schémas habituels. Elle nous confie ne rien
prévoir à l’avance lors de son premier brouillon, que ses personnages ont tous quelque
chose d’elle et qu’elle nourrit pour eux un réel attachement. C’est cette spontanéité
d’écriture qui donne finalement à ses personnages toute leur épaisseur.
« I don’t need the paragraph to be perfect before I move on. I just write. »
Anna Hope
Malgré leurs différences, les personnages courent tous après le même but : la liberté. Se
libérer de l’asile, se libérer de sa famille, se libérer de son passé, autant d’aliénations
qu’ils combattent. La problématique n’est plus « qui est le plus fou des deux ? » mais
« qui est le plus libre ?».
Rencontrer Anna Hope nous a ainsi donné l’occasion de discuter de manière privilégiée
avec l’auteure d’un livre que nous aimons particulièrement, ce qui est une chance plutôt
unique dans la vie d’un lecteur. Elle nous a confié que son prochain roman se déroulerait
à Londres, en 2010 et n’aurait pas, à l’inverse de ses précédents romans, de fond
historique. C’est donc dans un tout autre challenge qu’elle se lance , reconnaissant que si
l’absence de contexte historique rend la construction de l’histoire plus difficile, cela est
aussi un soulagement de pouvoir se libérer de toute contrainte imposée par ce genre de
roman, notamment concernant les dialogues. Nous attendons avec impatience de
pouvoir le lire, remercions les professeurs d’anglais de Phelma de nous avoir proposé
cette rencontre, ainsi que Anna Hope pour cet échange inoubliable.
Elise Garel