Edito : Collaborer pour créer des robots sociaux
La robotique, qui peut être vue comme la science de la perception et du mouvement, et de leur intégration en une machine physique, mécanique et informatique, est une science pluridisciplinaire par excellence. La conception d’un "robot compagnon" en particulier, nécessite de faire collaborer les chercheurs qui conçoivent la machine proprement dite, avec ceux qui la dotent des capacités d’interaction, ainsi que des caractéristiques comportementales et sociales requises en fonction de l’usage ciblé. A Grenoble INP, nous avons la chance de disposer d’un grand nombre de ces compétences et d’avoir des experts en sciences humaines et sociales dans les universités alentour. De nombreuses initiatives ont été lancées au niveau du site afin de renforcer les liens entre les laboratoires de différentes tutelles dans le domaine de la robotique. Ainsi, l’équipe RHUM (pour Robots in HUMan environments), soutenue par le labex PERSYVAL-Lab, a pour ambition de créer des collaborations entre tous les acteurs de la conception de robots. Porté par le CNRS, l’equipex Robotex repose quant à lui sur 15 laboratoires français de robotique et regroupe cinq plateformes nationales autour des thématiques de robotique humanoïde, de robotique médicale, de robotique mobile, de micro et nano-robotique et de robotique de production. En outre, des lieux où la créativité de chacun peut s’exprimer ont été imaginés, tels que le Fabmstic animé par Jérôme Maisonnasse. Ce lieu est un point de rencontre privilégié entre étudiants, chercheurs et même industriels, et sert de support aux projets Fablab et innovation de l'Ensimag. Enfin, la chaire "Robo’ethics", prochainement inaugurée par la Fondation partenariale Grenoble INP, l’Ensimag et le LIG, entend œuvrer pour une robotique sociale centrée sur l’humain.
Patrick Reignier
Professeur à Grenoble INP – Ensimag et chercheur au LIG
Quand l’humanité vient aux robots
Le marché des robots compagnons est en pleine expansion. Surfant sur la vague, les laboratoires de Grenoble INP mènent plusieurs projets de conception de robots "humanisés".
La robotique est un secteur en pleine évolution. Selon une étude récente*, elle offre de belles perspectives dans le domaine de la robotique industrielle et de la robotique de service, qu'elle soit à visée professionnelle ou domestique. En particulier, le marché des robots compagnons devrait connaître un important développement jusqu'en 2020. S’ils réalisent parfois quelques tâches de service, le rôle de ces assistants d’un nouveau genre se rapproche davantage de celui d’une baby-sitter (amuser les enfants, leur faire faire leurs devoirs…) ou, auprès des personnes âgées, d’un accompagnant prêt à donner l’alerte si besoin. A l’heure actuelle, plusieurs laboratoires grenoblois travaillent à doter des robots humanoïdes de capacités de perception, de décision, d’action, d’interaction et de communication avec l’humain.
* L'étude "La robotique en France" est publiée par Xerfi, éditeur indépendant d'études économiques sectorielles
Nina, un robot humanoïde interactif
Piloté par le Gipsa-lab, le projet ANR Sombrero auquel participent également le Laboratoire d’Informatique de Grenoble (LIG), le Laboratoire Interuniversitaire de Psychologie (LIP), le Lab-STICC et Aldebaran Robotics, est un projet de robotique sociale visant à doter un robot humanoïde de comportements socio-communicatifs (paroles, regards, expressions faciales, mouvements de tête, gestes des bras et des mains, postures corporelles) afin d’être capable d’interagir avec un humain. "Nous travaillons avec un robot iCub développé dans le cadre d’un projet européen, explique Gérard Bailly, de l’équipe CRISSP du Gipsa-lab. Dans le cadre de l’equipex Robotex, nous l’avons doté d’une mâchoire et de lèvres articulées, d’un haut-parleur puissant et de microphones d’oreilles intégrés à la tête articulée pour lui permettre de communiquer de manière la plus naturelle possible". L’objectif du projet est de concevoir un robot humanoïde adapté au dépistage précoce de la maladie d’Alzheimer. Baptisé Nina, ce dernier ferait passer des tests neuro-psychologiques standard aux patients à la place du professionnel, le libérant ainsi des tâches les plus répétitives. "Pour cela, nous avons développé une technique de télé-opération immersive, qui permet dans un premier temps à un pilote humain de percevoir, comprendre, apprendre et agir à distance sur le monde physique à travers une incarnation robotique". Grâce à cette phase de démonstration de comportements par un professionnel où la machine obéit passivement à ses ordres, le robot accumule de l’expérience, construit des modèles de comportements et devient progressivement autonome.
Des yeux et des oreilles pour les robots
L'équipe Perception de l’Inria, qui entretient d’étroites relations avec le Gipsa-lab et le Laboratoire Jean Kuntzmann (LJK), planche sur l’interaction homme-machine par la vue et l’ouïe. Ainsi, le projet européen EARS (Embodied Audition for Robots) a pour ambition de doter le robot d’une "audition intelligente". En particulier, les chercheurs travaillent sur une interface de captation des sons (microphones), associée à une capacité d’analyse et de traitement du signal afin de distinguer la parole humaine du bruit environnant, et de la "comprendre" tout en distinguant les interlocuteurs. Dans le cadre du projet VHIA (Vision and Hearing in Action), qui a valu un ERC au responsable de l’équipe Radu Horaud, ils devront proposer une représentation mathématique d'objets audio-visuels, en l’occurrence le visage d’une personne qui parle. "Ensuite, nous devrons faire en sorte que l’analyse des signaux sensoriels audio et visuels provoquent chez la machine, en l’occurrence un robot NAO de chez Aldebaran Robotics, une réaction appropriée au contenu de la scène perçue" explique Laurent Girin, chercheur du Gispa-lab détaché à l’Inria.
Cultiver??la??relation??sociale personne-robot,??oui??mais jusqu’où??
Pour Véronique Aubergé, chercheuse au LIG dans l’équipe GETALP, le risque que les robots modifient l’humain en s’immisçant dans les relations que nous entretenons les uns avec les autres est réel. "Face aux robots, nous sommes face à un autre qui n’est pas humain, mais auquel on ne peut s’empêcher de prêter des intentions humaines". A Domus, le "living lab" situé sur le campus et reconstituant une habitation, les chercheurs et étudiants co-expérimentent actuellement Emox (de Awabot) avec des industriels et des partenaires sociétaux. Emox est un robot majordome domotique : par apprentissage il a appris à reconnaître la parole spontanée pour actionner les volets, les fenêtres, la cafetière… et s’exécute en émettant de petits bruits. "Ce sont ces petits bruits, issus de recherches sur la communication humaine, qui créent dynamiquement un lien supposé "altruiste" dont les conséquences doivent être éthiquement évaluées et contrôlées". Emox est actuellement testé sur des personnes âgées isolées, à qui il pourrait éviter d’aller en maison de retraite en "devenant" compagnon. Pour la scientifique, il faut cependant rester très prudent avant de lancer des robots de plus en plus performants, mais dont l’effet sur les personnes fragiles qu’ils sont censés aider n’est pas pour l’instant connu.
Aussi, une réflexion éthique doit-elle encadrer les travaux dans ce domaine. Pour Anne-Marie Benoit, juriste au laboratoire PACTE, plusieurs problèmes se posent : celui du respect de la dignité humaine, celui du respect des libertés individuelles, et enfin, celui du respect de la vie privée des personnes, notamment avec la sécurité des nombreuses données collectées par le compagnon. "Comme l’impose la législation, il convient dans un premier temps d’obtenir un consentement libre et éclairé des utilisateurs, pour poser une limite à la vie privée et redéfinir des règles au cas par cas". Enfin, se pose également la question de la responsabilité en cas de dysfonctionnement du robot ayant, par exemple, entraîné un accident. Certains juristes réfléchissent à l’établissement d’un statut spécial du robot. Une association pour le droit des robots a même vu le jour !
RobAIR, un robot "maison"
En plus de suivre les enseignements en robotique dispensés dans certaines écoles (Phelma, Esisar, Ense3…), les étudiants de Grenoble INP peuvent laisser exprimer leur créativité au sein de fablabs tel que celui de l'Ensimag ou le Fabmstic. C’est là que RobAIR a vu le jour. Développé en partenariat avec Polytech’Grenoble, RobAIR est une plateforme de robotique de service à faible coût destinée aux chercheurs pour des expérimentations en environnements réels. Elle a récemment été augmentée de compétences de téléprésence. Plusieurs équipes d'étudiants ont collaboré à la réalisation des différents volets de cette plateforme : mécanique, automatique, électronique, capteurs, chaîne d'acquisition, gestion d'énergie, programmation robotique, guidage, fonctions socio-relationnelles, etc. "RobAIR a été spécialement conçu pour répondre à certaines exigences, puis revu et corrigé intégralement en fonction des applications visées et des retours d’expériences" indique Patrick Reignier. Augmenté de modalités de contacts socio-relationnels, RobAir Social Touch a pour objectif, à terme, d’être utilisé pour effectuer des visites à distance de musées (CCSTI la Casemate), pour rompre la solitude des enfants malades en les faisant assister virtuellement à leurs cours en classe, ou pour permettre aux personnes âgées une immersion à distance dans leur famille. Il a fait l’objet d’une présentation au salon Experimenta en octobre 2015.
Des compagnons artificiels à domicile
Etre doté de plusieurs sens ne suffit pas à faire un bon robot compagnon. Au LIG, l’équipe MAGMA travaille sur les compagnons artificiels, systèmes interactifs intelligents destinés à entretenir une relation privilégiée à long terme avec l’usager. Il en existe de deux types : les personnages virtuels et les robots sociaux. "Plus précisément, nous travaillons avec des robots du commerce que nous tentons de doter d’une réelle présence dans la vie quotidienne, notamment auprès des personnes dépendantes ou âgées" explique Sylvie Pesty, chercheuse au LIG. Financé par l’ANR, le projet "MoCA" (MOn petit monde de Compagnons Artificiels), s’est focalisé sur l’étude des compagnons artificiels dans des situations bien précises. "Pour ce projet qui se termine cette année, nous nous sommes penchés sur le cas des enfants qui restent seuls le soir après l’école chez eux. L’idée n’est pas, bien sûr, de remplacer la présence humaine, mais de leur suggérer des occupations ou de leur donner des conseils sur la conduite à adopter en cas d’imprévu, par exemple".
Quatre laboratoires de recherche en informatique aux compétences complémentaires (Lab STICC à Brest, LIMSI à Orsay, LTCI à Paris et LIG à Grenoble) ont associé leurs efforts afin de personnaliser ces compagnons, et de leur fournir les éléments nécessaires à l’instauration d’une vraie relation.
Faire de la robotique "éthique"
Agir pour une robotique sociale au service de l’humain et de la planète, c’est la vocation de la chaire "Robo’ethics", lancée par la Fondation Grenoble INP avec Grenoble INP - Ensimag, le Laboratoire d’Informatique de Grenoble (LIG) et la société Partnering Robotics. Fondée par Ramesh Caussy, un inventeur de produits technologiques "idéaliste sur les bords" dont le rêve était de développer un outil bienfaisant au service du bien-être des gens et de la planète, la PME a mis au point Diya One, un robot purificateur d’air qui aide en outre à réduire les factures énergétiques. Mais cela ne suffisait pas : l’entrepreneur souhaitait aller plus loin dans l’aide apportée aux personnes. "On s’est rendu compte que les gens avaient naturellement envie d’interagir avec le robot, ce qui nous a poussé à le doter d’un vrai rôle social". Aujourd’hui, la PME travaille à ce que Diya One interagisse réellement avec ses interlocuteurs, mais aussi avec d’autres technologies et pourquoi pas d’autres robots, pour peut-être, un jour, devenir un vrai robot qui compte dans la vie des gens. "Le robot complice a une réelle utilité s’il est bien conçu, surtout auprès des personnes en rupture de lien social : enfants hospitalisés, personnes âgées isolées, autistes...". L’entrepreneur (également chercheur associé au LIG-GETALP/PRIMA) insiste d’ailleurs sur l’importance de placer la réflexion éthique au centre des démarches d’innovation. "Il n’est pas question de développer n’importe quel type de robot, de prendre la place des gens ou de leur faire peur, précise-t-il. Les partenaires de la nouvelle chaire industrielle, tous sensibilisés à cette démarche, veilleront à ce que les travaux financés soient, comme les deux thèses déjà lancées par Partnering Robotics et le LIG en expérimentation dans des EPAHD, à visée altruiste". En attendant, les étudiants qui le souhaitent peuvent venir découvrir Diya One au sein du living lab Domus pour laisser libre cours à leur créativité, et pourquoi pas, enrichir la plateforme existante de nouvelles fonctionnalités et de nouveaux services.
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